INTERVIEW SCC
Un regard d’expert sur la cynophilie
Propos recueillis par Maud Lafon pour "Centrale Canine Magazine" n°208.
Depuis plus de trente ans, Laurent Ribouchon conçoit des chenils et du matériel de transport et d’hébergement pour les chiens de travail, d’élevage et de particuliers. Observateur extérieur et averti, puisqu’il fut lui-même éleveur et utilisateur de chien. Pendant toute cette période, il a vu le monde de l’élevage évoluer, en réponses à l’instauration de nouvelles normes sanitaires et à la prise de conscience croissante d’une donnée prégnante aujourd’hui : le bien-être animal. Il a parallèlement adapté son offre à ces nouvelles attentes. Le serrurier (l’activité qui consiste à travailler le métal) livre son ressenti sur l’élevage, la cynophilie et leurs évolutions.
Centrale Canine Magazine : Comment avez-vous démarré votre activité et quelles étaient vos motivations ?
Laurent Ribouchon, fondateur et dirigeant de l’entreprise Ribouchon & Fils : J’ai fondé mon entreprise avec mes parents en 1987, initialement pour répondre à un manque dans les métiers de la cynophilie : les chenils étaient alors souvent "bricolés" par les éleveurs mais il n’existait pas d’offre dédiée et surtout adéquate. Les éleveurs étaient plutôt des amateurs avertis, possesseurs de 3 à 6 femelles, et n’avaient pas de réels fournisseurs professionnels comme interlocuteurs.
J’ai eu cette idée lors de mon passage à l’armée, de 1984 à 1986, en tant que maître-chien, en constatant l’absence de produits industrialisés adaptés pour l’hébergement des chiens. De ce fait, les chenils étaient régulièrement détériorés et les grillages souples souvent inadaptés.
Ma première offre de matériel a été un test pour l’armée avec un ensemble de chenils, baptisé "Chenil Narco", installée à Suippes. Sur la base de ce chenil, nous avons contribué à la création d'un cahier des charges du chenil militaire avec les services d'infrastructure de l’armée, et c’est sur ce modèle que sont construits tous les chenils militaires depuis.
J’avais moi-même déjà un pied dans la cynophilie puisque j’ai possédé mon premier chien en 1980, une femelle briard et je fréquentais les clubs d’éducation et les expositions canines. Quelques années plus tard je me suis lancé dans l’élevage de cette race et ai détenu jusqu’à 8 femelles. Je n’élève plus et possède désormais un berger des Pyrénées, le même qui orne notre nouveau logo créé il y a deux ans pour fêter les 30 ans de l’entreprise.
C.C.M. : Qui sont vos clients et quelles sont leurs attentes respectives ?
L.R. : Nous fournissons du matériel à trois catégories de clients :
• les institutions (armée, police, gendarmerie) : c’est notre activité principale (environ 50 %) car le besoin de remise en conformité de l’équipement est régulier ;
• les éleveurs et les professionnels (pensions, associations de protection animale, refuges) : qui génèrent environ 35 % de notre activité ;
• les particuliers ou amateurs avertis (15 %) qui veulent profiter de notre savoir-faire et de nos tarifs pour s’équiper.
Notre offre se répartit elle-même en plusieurs catégories : chenils modulables, cages de transport, niches et accessoires, matériel militaire.
Les attentes des utilisateurs cynophiles ont évolué à mesure que de nouvelles normes encadraient leur activité et que les contrôles se renforçaient. Ces normes sont de deux ordres : sanitaires et tournées vers le respect du bien-être animal.
Au départ, l’assise réglementaire des activités cynophiles était assez floue. Progressivement, elle s’est structurée et les éleveurs ont dû faire de même en respectant des normes au niveau de leurs infrastructures (surface au sol, matériaux utilisés...). Nous partons de loin puisque la première évolution a été l’interdiction de maintenir un chien attaché à une chaine ou à un trolley.
Les évolutions successives ont ensuite été dans le sens d’assurer un meilleur confort au chien. Ces contraintes ont structuré le métier d’éleveur et ont, de mon regard d’observateur extérieur, renforcé la conscience professionnelle des éleveurs. Le secteur a évolué de l’amateur éclairé au professionnel beaucoup plus structuré et on ne peut plus imaginer aujourd’hui qu’un éleveur soit mal équipé.
C.C.M. : Comment adaptez-vous votre offre en fonction ?
L.R. : Notre force est d’être fabricant et pas seulement revendeur. Cela nous donne la capacité d’adapter nos produits aux besoins de chacun en tenant compte de leurs souhaits, des infrastructures déjà existantes et de la race élevée. La conception des chenils dépend en effet de ce dernier critère et nous ne fournirons pas le même matériel pour héberger un malinois débordant d'énergie, un bouvier bernois plutôt placide, ou un chien de type terrier, qui cherchera (et trouvera !) toujours le point faible d'un matériel mal adapté. Le matériel est donc proposé en cohérence avec l'usage et la race élevée.
La sécurisation est un autre facteur clé, toujours pris en compte.
Pour le matériau au sol, nous privilégions le béton, un produit résistant et non glissant, avec traitement au quartz pour assurer son étanchéité ainsi que sa dureté en surface, limitant une usure prématurée. L’armée privilégie les dalles avec un revêtement en asphalte. Notre objectif est de proposer un matériel pérenne, facile à nettoyer et qui sèche suffisamment vite, tout en restant confortable pour le chien. Le chenil est en effet un milieu hostile pour les matériaux qui y sont mis à rude épreuve (détériorations canines, urine, eau, détergents...). Avec le recul, nous avons pu constater le degré de résistance de nos chenils sur le long terme. Un autre paramètre clé est le coût qui doit rester raisonnable. Nous utilisons pour cela préférentiellement de l'acier recevant un traitement de galvanisation à chaud car les autres options seraient beaucoup plus onéreuses ou de moins bonne tenue. Je pense à l'inox et à l'aluminium.
C.C.M. : En parallèle de l’évolution du monde cynophile, comment a évolué votre activité ?
L.R. : Nous avons du faire évoluer notre production en nous adaptant aux nouvelles normes et attentes, davantage centrées sur le confort et le bien-être du chien. Si nous concevons en interne et fabriquons l'intégralité de notre production, nous avons aussi la chance de pouvoir compter sur le soutien et l'expertise des meilleurs cynophiles civils et militaires. La collaboration avec les Officiers cynos du 132e R.I.C. de Suippes ces 25 dernières années nous a notamment permis de mettre au point des matériels aussi variés que les chenils, courettes de "campagne", cachettes d'entraînement et de déconditionnement, les obstacles de saut, les cages de transport ou, plus récemment, le nouveau système passe-plats. Destiné à équiper tous les chenils militaires, l’efficacité en conditions réelles et sur le long terme de ce nouveau concept a reçu l'approbation des Services Vétérinaires concernés.
La mise en situation et le retour d'expérience de ces experts privilégiés nous a permis, au fil des années, de faire évoluer notre matériel dans le respect des normes en vigueur, de la longévité, de la sécurité et du confort de l'animal.
Crédits photos : Ribouchon et fils
Ribouchon et fils - 12/2020